photographe
<<<< un photographe stakhanoviste (l'homme assis) qui prend en photo le groupe (petite photo précédente, mais vous ne me reconnaîtrez pas : j'ai perdu quelques dizaines pixels pendant la rando) en rafale : une photo et un appareil par membre du groupe, soit 10 sons "bouic" numériques et un "creucreu" mécanique.
Objet : deux étranges messages d’Australie sur notre site
Il y eut les naufragés volontaires. Alain Bombard en fit l’expérience pour accroître les chances de survie des naufragés involontaires.
Sylvain, dans son quatrième message, nous fait part de son expérience de prisonnier volontaire dans un mini-bus, rempli de djeunes pour un tour organisé de 3 jours, en route vers Uluru, le caillou rouge au centre de l’Australie.
Mais pourquoi se confiner dans 4 mètres cubes au milieu d’un si grand espace ? Pourquoi s’agglutiner dans une région ou la densité humaine frise le zéro ? Oui, pourquoi ?
Le but, toujours selon Sylvain, serait tout aussi louable et philanthropique que celui d’Alain Bombard : élaborer un manuel de survie au voyage en groupe .
N’est-ce pas un prétexte fallacieux ? A vous d’en juger.
Encore faut-il en sortir indemne , d’un tel voyage ! A-t-il survécu ?
Réponse dans son cinquième message.
4) Leçon numéro 2 : Ne mettez pas un groupe entre vous et le monde
Rappel : la leçon numéro 1 aurait pu s’intituler : NE METTEZ PAS L’IMPOSSIBLE (PHYSIQUEMENT) ENTRE VOUS ET LE MONDE (Ne partez pas faire de la randonnée dans le désert australien en saison sèche).
Et ce, d’autant moins que la séquelle la plus grave est la perte significative de neurones. En effet, comment expliquer autrement que mardi matin, au lieu de me diriger vers la gare routière, j’ai choisi de monter dans le bus affrété par l’hôtel pour trimballer un groupe pendant trois jours ?
Comment ? Je ne peux avancer que quelques raisons, toutes...mauvaises :
- le tour me permettra d’atteindre King’s canyon, ce qu’aucun transport public ne permet,
- Découvrir Uluru (le nom aborigène pour Ayers Rock, le gros monolithe rouge au milieu du désert) en voyageur indépendant, c’est se soumettre à ce qui ressemble a un racket. notamment pour couvrir les 20 km entre le village le plus proche et le rocher.
Bien sûr, ces raisons ne sont pas suffisantes. Il ne faudrait pas prendre de décisions a 6h du mat, ni randonner dans le désert, on ne le dira jamais assez !
Bref, me voilà dans le bus depuis ce matin. Le vice-président de Cap vers en voyage presque organisé. Et oui !
Comme tout se sait dans le village planétaire, je préfère faire mon coming-out (aveu public) plutôt qu’être à la merci d’un outing (dénonciation publique). J’ai quelques dossiers noirs sur les administrateurs de Cap vers et je préfère livrer le mien pour ne pas donner prise au chantage. Mieux vaut la calomnie !
Le topo de bienvenue dans le mini-bus dit beaucoup : "Vous n’êtes que 11 au lieu de 21 habituellement. Alors je vous demande de faire du bruit pour 21. Nous avons une réputation à tenir. Et souvenez-vous : WE ARE HERE JUST TO HAVE FUN !”
Analysons cette phrase :
WE (nous) : ce gars parle a ma place,
ARE (sommes) : et dit ce que je suis,
HERE (ici) : et pas ailleurs, dans ce mini-bus, sans échappatoire, c’est bien le problème,
JUST (seulement) : ce qui suit constituera l’exclusivité du programme,
TO HAVE FUN (s’amuser) : ai, ai, ai !!!
Et le garçon de joindre le geste à la parole : bonnet vert de Shrek sur la tête, zique a fond à s’en faire péter les tympans, il aggripe le volant.
DU PAIN ET DES JEUX.
C’est Juvénal, n’est-ce pas, qui déplorait la décadence de l'empire romain en voyant que César tenait son peuple par le pain et les jeux.
A midi, sandwichs.
Entre les sandwichs, we have fun.
Et je comprends alors que pour nombre de jeunes voyageurs ( souvent anglo-saxons), le voyage n est qu’un produit de divertissement parmi d’autres proposés par une société occidentale du pain et du jeu.
Que le voyage n’est pas une expérience de l’autre, l’habitant du pays visité.
Qu’íl n’est pas non plus une expérience de soi-même, rencontrée au détour de la solitude, de l’adversité, d’un choc esthétique.
Non, le voyage est au mieux un rite de passage et un brevet de débrouillardise que l’on peut afficher sur son C.V.
Bref, un voyage qui « forme la jeunesse » , la renforce, mais en aucun cas qui la déforme, qui la « défait »pour reprendre le mot et l’idée de Nicolas Bouvier, l’écrivain voyageur.
Et alors, qu’est ce que le monde pour ces voyageurs ? Un terrain de jeu et de spectacle.
« La civilisation du spectacle » et du divertissement s’est acoquinée avec l’industrie du tourisme. Leur territoire est la planète.
Revenons à notre mini-bus. Nous (je commence à raisonner collectif, c’est bien) venons de faire une petite marche dans King’s canyon. Pour faire spectacle, il faut mise en scène. La première montée est devenue « la montée des crises cardiaques » , plusieurs voyageurs ayant cassé leur toquante dans la fatale ascension. Le voyageur-touriste est flatté dans son ego. C’est lui, aussi, l’acteur du spectacle. Il est au cœur de l’événement.
« Vous allez faire çaet ça sera extraordinaire » (dormir à la belle étoile dans le bush). Puis : « vous le faîtes et c’est extraordinaire !’’ . Enfin : « Vous l’avez fait. Voici le T-Shirt ».
J’ai découvert aussi que le groupe avait son bruit. Un « bouic » , ces petits jingles des appareils photos numériques. Photos aussitôt expédiées par Internet aux amis. Le spectacle requiert des spectateurs.
Autre découverte : le fil coupe le beurre et la préoccupation majeure du membre d’un groupe est de s’y intégrer.
Pour ce faire, il est conseillé de tout mettre au pot commun, de partager ses émotions («It is beautiful »). Cet orage de grêle, sur Kings canyon, vécu seul, aurait pu être une rencontre avec les éléments. Il faut l’objet d’une partie de rigolade, entre nous.
Écoutez un voyageur au retour d’un tour : il vous parlera principalement du guide et de ses compagnons. Et c’est inévitable.
Rassurez-vous, je vous épargnerai le portrait de chacun (des chacuns sympathiques, ailleurs, au prime abord).
Bon, tout ça est une suite de lieux communs, me direz-vous. Vous avez raison.
Mais n’ayant jamais expérimenté le voyage organisé je n’étais pas certain que mon discours prônant le voyage indépendant n’était pas un habillage (en ma faveur) d’une éventuelle misanthropie.
Mais non, il n’en est rien. me voilà rassuré. Il y a de bonnes raisons de préférer le voyage indépendant à l’organisé. Croyez-moi sur parole.
Et prêcher pour le voyage indépendant n’est pas prêcher pour une chapelle contre les autres. Car le voyageur indépendant est claustrophobe et solitaire et préfère aller prendre l’air tout seul sur le parvis quand tout le monde se presse dans la chapelle.
Fallait-il joindre un groupe pour s’en assurer ? Pas plus qu il n’était nécessaire d’aller dans le désert pour le découvrir hostile.
Serais-je à côté de mes pompes lors de ce voyage ? Ma place ne serait-elle pas là en ce moment ? Bien la première fois que je me pose cette question en voyage.
Pour ce qui me reste de séjour, je vais tâcher de trouver un juste milieu entre l’expérience de l’extrême de la rando et la régression infantile du groupe.
Ce soir, nous rejoignons « le bivouac ». On va le faire, on l’aura fait. Demain, Uluru. Entre Uluru et moi, le groupe.
Je vous enverrai d autres cartes postales plus visuelles cette fois (il y a en a tellement pour les yeux ici. C’est immense à vous agrandir votre champ de vision. Les camions à quatre remorques (« road trains »), les routes rectilignes interminables, le rouge sang de la terre. Ce paysage me fascine, m’émerveille, me comble).
Ce message était plutôt une contribution au Centre mondial lavallois de recherche sur le tourisme. Un témoignage, plus qu’une réflexion. c’était surtout un moyen de supporter l’angoisse des premières heures de captivité. Mais là, ça va mieux. Ah, les pouvoirs de l’écriture. Et puis, il faut que je vous parle de Chris, notre guide, qui...
En direct du mini-bus, mardi 1er février 2005, notre envoyé spécial, Sylvain
Erratum : je crois avoir parle « d’invincibilité » a mon sujet. Second degré, bien sûr, confirmé par les faits.
Post-scriptum : « le vélo pour les moins courageux » dans le dernier message était une blague boomerang. Certains ont entendu parlé de mon projet de vélo en Syrie, puis en Tunisie qui se termine (provisoirement, provisoirement !) dans ce mini-bus.