vélo en australie
<<< L'échidné (panneau du bas), à ne pas mettre sous toutes les roues.
(petite photo précédente : les 12 apôtres)
Sylvain s’en va faire une petite randonnée cyclotouristique de quatre jours le long de l’océan arctique et son récit prend des allures d’épopée.
Ainsi, vous rencontrerez les aborigènes, un bluesman blanc, le vent contraire, l’Alpes d’Huez (?), le vent (toujours) contraire, le fantôme de naufragés, la baleine Right...
Mieux (ou pire) encore : ébloui par le vélo, il n’atteint pas la Vérité vraie, mais il accède à quelques vérités partielles mais absolues, du type : « le vélo évite de descendre de voiture. »
Pour connaître les autres messages encycliques de notre pape du dérailleur (pléonasme), lisez le message ci-dessous.
Certains m’ont beaucoup entendu parlé de vélo. Peu m’ont vu pédaler. D’aucuns prétendent même que j’aurais parlé d’un voyage en Syrie, voire en Iran. Des mauvaises langues.
Foin des sarcasmes (et de la limonade) : il me fallait « donner une réponse sur le terrain » comme le diraient les footeux qui ont le sens de la formule.
L’idée est la suivante : pédaler sur la moitié de la « Great Ocean Road », la « grandiose route de l’océan », qui longe sur 500 km une falaise de calcaire sculptée par l’érosion marine et éolienne. Du grand spectacle.
Pourquoi la moitié seulement ?
Disons que la douloureuse expérience de la rando en plein cagnard (cf message n°2) m’a invité à plus d’humilité.
240 bornes pour moi, donc. Une distance que Yolaine, Jean-Pierre et les enfants abattent entre la poire et le fromage. Mais moi, je débute.
Jour J 0 : la préparation
« Ne prends rien et ensuite, retires-en en la moitié. » C’est sur ces bonnes intentions que je prépare mon paquetage sur roues.
Sauf que je suis dépourvu du gêne du rangement.
Ma technique est celle du « bourre dedans » ou « quand y’a plus de place, y’en a encore. Suffit de bourrer dedans. » Cette technique a ses limites, dépassées heureusement par une autre technique : celle de l’excroissance. Suffit de rajouter un bagage rattaché par une sangle.
Et c’est comme ça qu’on se retrouve avec un vélo typiquement français – dixit JP et Y encore – aux antipodes des vélos germains rangés comme des services de table.
Me voilà paré pour l’aventure.
Jour J 1 : A jamais recommencé
Le train nous dépose – mon bicloune, le matos camping et moi – dans une petite gare à 50 bornes de l’océan ; avec entre lui (l’océan) et nous (nous), une belle colline à franchir. Mais ça, c’est pour demain.
Il est 15 h, je me barbouille de crème solaire (plus je mets de crème solaire, moins je consomme de chocolat, étonnant, non ?) et débute mes 25 km de la journée. Une entame amicale dont Jean-Pierre, le Maître, ne ferait qu’une bouchée entre la poi- et le –re.
Sauf qu’il y a le vent. Et le vent est l’ennemi du cycliste. Le vent, c’est la côte, sans la promesse de la descente. Petit plateau, moyen pignon, grand pignon. Merde ! Je suis déjà sur le plus petit développement. Et ce n’est qu’un faux plat montant. Ça ne s’annonce pas facile, facile !
Le paysage n’est pas extraordinaire. Une forêt dense de résineux (non natifs), avec des chemins de terre qui débouchent sur ma route et sont couronnés de boites aux lettres folkloriques : pot de lait en métal suspendu à une potence, cubis de plastique fichés sur un poteau, poubelle à roulettes (type lavallois) vissée au mur.
« Le vent à jamais recommencé » pour plagier la citation sur la mer. Vous connaissez Sisyphe , condamné à pousser la pierre sur la colline et qui redégringole en bas, et Sisyphe de pousser encore. Le vent, c’est pareil. Sauf que pousser une pierre d’un vélo, c’est encore plus difficile !
Et le faux plat montant à jamais recommencé, aussi. Pause. Fruits secs, J’enfourche de nouveau la petite reine, un virage et ... me voilà arrivé. Gag ! Pas de panneaux kilométriques sur la route et je me suis refusé à m’équiper d’un compteur pour ne pas sombrer dans la kilométromania comme lors de la rando.
Le patron du camping est très chaleureux et direct, comme savent l’être la majorité des Australiens.
« - The camping is all yours’ (tout à vous). D’où venez-vous ? »
- de Colac.
- ALL DOWN ILL !!!! » ( QUE DE LA DESCENTE !!!!)
Jour J 2 : Petit développement, grand bonheur
Beurre de cacahuètes à la tartine. Petit-dej roboratif pour vaincre l’inquiétude et doper l’excitation de cette belle montée à venir au milieu d’une forêt labellisée parc d’état, c’est à dire fédéral (et non national).
Pas de zeff, temps gris, le trafic s’est éclairci. Idéal pour rouler.
Seuls des camions américains (Mac, Kenworth) me donnent des claques de vent, leurs deux remorques chargées d’énormes troncs d’arbres. Ils me doublent en remontant à vide, la deuxième remorque chevauchant la première. La forêt, à vue d’œil, semble prise de frénésie de coupe et de reboisement. Seules les parcelles en cours d’abattage sont nues. Les autres sont couvertes de jeunes arbres.
Les slogans sur les panneaux des compagnies forestières le clament : « le bois, une énergie renouvelable. »
Encore faut-il replanter. En 1901, la forêt couvrait 10% du territoire et aujourd'hui 5% seulement.
Parions que comme en occident, l’Australie préserve maintenant au mieux ses forêts tout en fermant les yeux sur l’importation illégale de bois (du Brésil et Indonésie, notamment).
Je passe même devant un bureau du « Ministère de l’environnement et du développement durable. ». Au moins, ils sont sur le terrain !
La montée se passe très bien. Je forme mon « groupe étau » à moi tout seul, comme au tour de France (parce que je m’y crois, bien sûr, au Tour) : je monte à mon rythme, juste pour être dans les temps (fixés par moi-même !) et éviter la disqualification.
Je peux donc en profiter pour admirer la flore : fougères géantes (3 mètres), eucalyptus (parmi la centaine d’espèces existantes).
Et ça monte bien. Car j’apprends aussi que l’intérêt du paysage constitue aussi un moteur du cycliste : le cycliste pédale avec les yeux.
ça y est, j’y suis, après 2h45 de montée. Je ne m’imaginais pas l’Alpes d’Huez comme ça, mais bon...
Je prends un kawa et remonte vite fait sur mon fidèle destrier, Rossinante car au loin, on voit la mer. Nous sommes à 600 m d’altitude et la mer est au niveau de la mer. Une belle descente en perspective. je mors le vent en représailles pour hier.
Deux cyclotouristes montent et me croisent. Ils me saluent confraternellement de la main. D’habitude, je suis en transport local quand je les croise et je me dis, à moi-même : petit joueur. Là, nous jouons dans la même cour. Chacun la sienne, car le cycliste est individualiste, mais elles ont la même grandeur, la même beauté. Nous nous en félicitons, nous savons que l’autre sait. Ce secret partagé, nous le signons d’un geste amical de la main.
Ce petit geste m’emplit de joie intérieure. Ajoutée à la griserie de la vitesse, j’exulte.
J’arrive à Princetown (en toute modestie !), le terme de mon étape de la journée, dans ce hameau endormi, juché sur une rive surélevée d’un fleuve paresseux qui serpente comme un gros serpent, creuse la dune au loin et plonge dans l’océan dessiné par un trait bleu dans l’échancrure jaune du sable.
Il est 14 h. C’est bien joli, mais à l’arrêt, le vélo, ça n’avance pas !
C’est mon cerveau reptilien qui le dit. Hypnotisé par le paysage en mouvement, bercé par les endorphines de l’effort, il réclame son dû : des kilomètres. J’irai donc plus loin.
Le paysage a radicalement changé depuis le passage du col. A proximité de la mer, la végétation est rase, adaptée aux vents forts, au sable et au sel.
Le vent s’est levé. Stoïque, je pousse ma pierre sur la colline.
La côte est réputée pour l’incroyable découpage de ses falaises calcaires, érodés par les vagues et le vent. Les « pitons » isolés dans la mer sont d’anciennes falaises creusées sur leurs deux flancs par la mer jusqu’à ce que le cordon rattaché au continent s’effondre. Douze d’entre eux constituent «les douze apôtres », la troisième « carte postale » australienne après l’opéra de Sydney et Uluru. Plus loin, des arches, des grottes, baptisées à l’anglaise. « London bridge » par exemple.
Nommer le pays, n’est-ce pas se l’approprier ?
Dans le cas présent nier l’antériorité du continent sur sa découverte européenne et ainsi désapproprier les aborigènes de leur territoire originel ? Certainement. Cette bataille est symbolique et de grande importance. La lutte constante des aborigènes pour renommer Uluru de son nom originel le montre. Les panneaux routiers, aujourd’hui indiquent Uluru avec entre parenthèses Ayers Rock.
Un camping-car me double. Bras féminin qui en sort et me salue. Notre chassé-croisé durera toute la journée.
Même contre le vent, le vélo m’émerveille.
Habitué de la course à pied, je me grise du même effort physique, mais cette fois-ci récompensé au centuple par cette merveilleuse mécanique : cadre, roues, chaîne, dérailleur.
N’est-ce pas le seul sport où l’unique énergie est musculaire ( sachant que le vent dans le dos n’existe pas ; dans ce cas, on a la frite) mais décuplée ?
Bref, je me grise de mes bottes de sept lieux avec mon VTC hyper léger sur un bitume correct. Le VTT dans la boue mayennaise ne m’y a pas habitué.
J’arrive peu avant la nuit à Port Campell, le terme de mon étape d’un peu plus de 80 bornes. Ce port fit jadis sa fortune sur la chasse de la baleine « Right »
baptisée ainsi parce que c’était la « bonne » baleine à viser : lente, flottante une fois morte et riche en huile.
En une vingtaine d’années (1920-40), le cheptel a été décimé, mettant fin à l’industrie baleinière.
Il resterait 1 100 baleines Right, loin des 100 000 qui garantiraient sa survie.
Jour J 3 : La pédagogie de l’horreur
La côte est aussi nommée « la côte des naufrages ».
Chaque crique ou presque a connu une histoire tragique.
« Passer entre King island (nda : une île) et le continent, c’est passer dans le chat d’une aiguille. » disait-on. Après deux, voire trois mois de traversée depuis l’Angleterre, le brouillard, la tempête et les erreurs de navigation précipitaient les bateaux sur les récifs.
Je débute la matinée par une promenade à pied, thématique sur ce sujet. Les Australiens sont friands de panneaux pédagogiques sur la faune, la flore, l’histoire européenne et aborigène.
Je pars sous la pluie. Paysage identique à celui d’hier. La nature offrait une abondance de nourriture aux aborigènes
: poissons de rivières, coquillages, baies, petits mammifères.
Dans ces régions, ils furent massacrés en masse par les Européens. Puis la politique d’intégration consistant à déculturer les aborigènes (« No aborigenes : no aboroginal problems ») a terminé le travail. Le mouvement de renouveau de la culture aborigène est impuissant à ressusciter des pans entiers de connaissances à jamais disparus.
Je ne vais pas vous persécuter avec mon plaidoyer pour le vélo mais il offre encore un autre avantage : le vélo vous évite de descendre de voiture.
Sur les parkings, j’observe les passagers qui s’extirpent à contre cœur de leur cocon de métallique. Je vois même des touristes qui restent dans leur mini-bus, de crainte d’être mouillés.
C’est ridicule, mais j’éprouve de la sympathie et de la gratitude pour ma machine, ce superbe deux roues au milieu des laiderons à quatre roues et plus.
Le soir, j’arrive à Warrnambool (nom aborigène, préservé, celui-ci)avec un jour d’avance sur le planning prévu. Je retrouve mon « bras féminin au camping-car » épaté que deux roues en valent quatre.
Au camping, je rencontre un routard avec une gueule, une guitare et une voix de bluesman.
Un Calvin Russel australien. J’aimerais l’entendre entonner ce texte philosophico-cycliste « I’m standing at the cross road, emprisoned by theses doubts. One path leads to paradise, one path leads ton pain, but they all look the same... »
Dernier jour J 4 : la boucle vous ramène au point de départ ! >
Une petite boucle de 60 bornes dans la campagne.
Comme je regrette d’avoir pris mon billet d’avion pour Sydney pour lundi. Je me suis laissé avoir par une promo sur le net. Décidément, j’en fais, quelques conneries lors de ce séjour. L’improvisation est l’essence du voyage, la contrainte est son poison.
Si je n’avais pas pris ce billet, je pourrais prolonger mon périple de quelques jours, plein nord, vers les montagnes de Grampions.
Cette fois-ci, j’ai eu les yeux plus petits que le ventre.
Ce mini coup d’essai cycliste a dépassé mes espérances.
Mon podium des modes de voyage s’établit ainsi, maintenant :
n 1 : en vélo,
n 2 : en transport local,
n 3 : rester chez soi.
Le croirez-vous ? C’est avec un pincement au cœur
que je mis le vélo dans le train. Et un petit coup au moral
que j’ai posé mes fesses sur un siège.
En direct du train Warrnambool-Melbourne, vendredi 11 février 2005, Sylvain